"Le Figaro" du mercredi 17 avril 1912

Translation
Le Figaro du 17/04/1912
La catastrophe du « Titanic »
_________

Près de 1.500 victimes

On eût voulu douter. Même après la dépèche si alarmante que nous avons publiée hier matin, on espérait encore, car l'ambiguité, l'impresion des d"pèches parvenues d'heure en heure au cours de la nuit de lundi autorisait presque jusqu'à la dernière minute ces vaine espérances. Aujourdh'ui, l'illusion n'est plus possible. La catastrophe du Titanic a surpassé en horreur les plus épouvantables sinistres que compte l'histoire maritime. En quelques heures, ce magnifique paquebot, orgueilleux triomphe de l'art de l'ingénieur moderne, s'est abîmé dans les flots. Et dans les ténèbres de la nuit, tandis que se hâtaient - inutilement, hélas ! - les steamers qui avaient enregistré l'appel de la télégraphie sans fil, l'énorme navire coulait. A peine, dans ces trop courts instants de mortelles angoisses, une faible partie des innombrables passagers avait pu trouver place dans les canots de sauvetage.
Douze cents, quinze cents hommes, plus encore peut-être étaient de meurés à bord. Par nécessité sans doute, mais aussi par devoir? N'avait-il pas fallu assurer d'abord le salut des femmes et des enfants embarqués à bord ? L'équipage pouvait-il abandonner le navire dont la perte n'apparaissait pas tout d'abord inévitable ? C'est le périlleux dévouement de ces hommes qui a donné au sinistre sa tragique ampleur.
Il convient de s'incliner devant tant de deuils et de saluer, en même temps que les victimes de cet effroyable malheur, tant de familles en larmes sur les deux continents.

***

C'est une catastrophe sans précédent dan l'histoire des marines. Il faut, hélas ! compter que près de 1,500 personnes (1,492, dit une dépèche de la soirée) ont trouvé la mort dans ce sinistre affreux !
C'est dimanche à dix heures du soir - heure de New-York - par conséquent vers deux heures du matin - heure de Paris - que la rencontre du paquebot géant et de la banquise s'est produite. On le sait par les radiogrammes envoyés du Titanic et reçus aux stations de la côte des Etats-Unis, en particulier à celle de Cape-Race, dont le carnet de service relate, instant par instant, les phases du drame qui se déroulait en mer. en voici le libellé, que sa sécheresse rend plus poignant encore :

Cape-Race, dimanche, 10 h.25 du soir, - On entend le Titanic faire des signaux de détresse, auxquels répondent un certain nombre de navires, dont le Carpathia, le Baltic, le Caronia et l'Olympic.

10 h. 55 du soir : Le Titanic a signalé : "Nous sombrons par avant".

11 h.25 du soir : Notre poste établit une communication avec la Virginian, l'informe du besoin urgent de secours du Titanic, lui indique sa position. Le Virginian nous annonce qu'il se porte immédiatement sur le lieu du désastre.

11 h. 36 du soir : Le Titanic informe l'Olympic qu'il fait monter les femmes dans les embarcations.

Minuit 27 : Le Titanic continue à faire des signaux de détresse et à indiquer sa position. Le Virginian annonce qu'il a reçu quelque signaux confus qui ont cessé brusquement.

Ce fut le dernier radiogramme envoyé par le Titanic. Il est probable qu'à partir de ce moment, l'eau avait envahi les machines et empèché ainsi les appareils électriques de T.S.F. de fonctionner.
Ces radiogrammes avaient touché divers paquebots naviguan dans les mêmes parages : Le Parisian, le Carpathia, le Virginian, le Baltic et l'Olympic.
Malheureusement aucun n'était dans le voisinage immédiat du paquebot en

Page 2

Le Figaro du 17/04/1912 détresse, et quand le plus proche d'entre eux, le Carpathia, arriva sur le lieu du sinistre, vers cinq heures du matin, il ne trouva que des flottilles de canots de sauvetage remplis de naufragés : il apprit d'eux que vers deux heures du matin le Titanic avait définitivement sombré, englotissant tous ceux qui n'avaient pas trouvé place dans les canots de sauvetage.
Les autres navires énumérés ci-dessus arrivèrent un peu plus tard. Aucun d'eux ne recueillit de naufragés, et hier dans l'après-midi le télégramme suivant était envoyé de New-York :

New-York, 16 avril.

L'administration de la White Star Line ne garde plus aucun espoir d'apprendre qu'on a pu sauver d'autres passagers que ceux qui se trouvent actuellement à bord du Carpathia.

Les passagers sauvés

Combien sont-ils, ces réchappés ? D'après les dernières informations reçues, on évalue leur nombre à 868 (dont 675 passagers et 193 hommes d'équipage.) Et comme il y avit en tout à bord du Titanic, passagers et équipage compris, 2,360 personnes, c'est donc le chiffre énorme de 1,492 morts qu'il faut avoir la douleur d'enregistrer.
Les dernières recherches n'ont, d'après les dépèches de la soirée, amené la découverte d'aucun naufragé. Voici la dépèche que nous avons reçue de New-York :

New-York, 6 avril.

Suivant les dernières nouvelles officielles, sur 325 passagers de première classe, 202 sont sauvés, et sur 285 passagers de seconde classe, 114 sont sauvés.
Ce sont surtout des femmes et des enfants qui forment le total des 868 sauvés. La règle est, en effet, et on le comprend de reste, que l'on doive faire embarquer d'abord les femmes et les enfants dans les canots de sauvetage.
Or, il y avait 140 passagers en première, 109 en seconde et environ 500 en troisième, soit 749 femmes et enfants. Si l'on songe que les canots avaient leur équipage de marins, il en résulte que les canots ne devaient contenir que bien peu de passagers hommes, et, en effet, un télégramme que nous publions ci-dessous et qui donne une première liste de sauvés, ne contient presque que des noms de femmes et enfants.
Voici cette liste partielle, telle qu'elle a été télégraphiée à Cape-Race :

Mmes Edward W. Appleton, Rose Abbott, Mlles C. M. Burns, G.M. Burns, D.D. Casselbere, Mmes William Clarke, B. Chibinaco, Mlles E.G. Crossbie, H. E. Crossbie, Jean Hippact, Mmes H. B. Harris, Alex, Halverson, Mlle Margaret Hayes, M. Bruce Ismay, M. et Mme Ed. Kimberley, M.an F. A. Kenyman (ou Kenyon), M. Emile Kenchen, Mlle G. R. Longley, Mme A. F. Leader, Mlle Bertha Lavory, Mmes Ernest Linnes, Susan P. Ryerson, Mlle Emily B. Ryerson, Mmes Arthur Ryerson, John Jacob Astor, le jeune Allison et sa nourrice, Mlle Andrews, Mlle Mannette Panhart, Mlle E. W. Allen, Mme F. M. Warner, Mlle Helen Wilson, Mlle Villard, Mlle Mary Wicks, Mme George D. Widener et sa femme de chambre, Mme J. Stewart, Mlle Mary C. Lines, Mme Sigfrid Lindstroam, M. Gustave J. Lesneur, Mlle Georgietta Amadill, Mme Melicard, Mme Tucker et sa femme de chambre, M. et Mme Thayer junior, M. H. Woolner, Mlle Annie Ward, Mme J. Stuart White, Mme Mary Young, Mme Thomas Potter, Mme Edna S. Roberts, la comtesse de Rothes, M. C. Rolmane, M. et Mme D. H. Bailey, M. H. Blank, Mlle A; Barsina, Mme James Baxter, Mme George A. Bayton, Mlle C. Connel, M. et Mme J. M. Brown, Mlle G. C. Bowen, M. et Mme R. L. Beckwith, M. et Mme L. Henry, Mme W. A. Hooper, M. Mile, M. J. Flynn, Mlle Alice Fortune, Mme Robert Douglas, Mlle Hilda Slayter, M. H. Smith, Mme Brahan, Mlle Lucile Carter, M. William Carter, Mlle Roberts, Mlle Cummings, Mlle Minahan, Mme N. Rothschild, Mrs George Rheims.

Parmi les passagers hommes sauvés, on cite : M. Bruce Ismay, un des propriétaires de la White Star Line, ainsi que M. Simonius, président de la Swiss Bankverein, M. J. B. Hayes, président du Pensylvania Railroad.
On cite encore : sir Cosma E. Duff Gordon et lady Duff Gordon et M. K. H. Behr, le fameux joueur de tennis.

Les victimes

Parmi les noyés, on craint de compter M. W. T. Stead et le major Butt, aide de camp de M. Taft.
M. William Thomas Stead est l'un des publicistes les plus connus de l'Angleterre et des Etats-Unis. Il dirige la célèbre revue Review of Reviews, qu'il avait fondée en 1890, de même qu'il fonda en 1892 l'American Review of Reviews. C'est un esprit audacieux et avancé. Il publia en 1885 un pamphlet violent intitulé : Maiden tribune of modern Babylon, qui lui valut trois mois de prison. Après sa visite au Tsar, en 1898, il prêcha la croisade pour la paix et publia, en 1899, un ouvrage sur les Etats-Unis d'Europe.
On lui doit également des études sur le mouvement ouvrier, telles que : la Guerre du travail aux Etats-Unis (1894).
M. Stead avait fréquemment collaboré, ces dernières années, à quelques journaux radicaux de Londres, notamment au Daily Chronicle. Il s'était lancé dans de curieuses expériences de spiritisme : ce fut à lui que l'on dut, il y a un an et demi, une interview de l'esprit de Gladstone qui fit en Angleterre un certain bruit. M. Stead est âgé de soixante-trois ans.
Le colonet Astor a péri, mais Mme Astor est sauvée.
Le colonel John Jacob Astor était né le 13 juillet 1864. Il était le petit-fils du célèbre fondateur de la dynastie des Astor, dont il portait les prénoms. Après avoir fait ses études à l'Université Harvard, John Jacob Astor s'était spécialisé dans la construction de palace-hôtels : le Waldorff Astoria, le Saint-Regis, le Knickerbocker. Il fut nommé inspecteur général des volontaires après avoir offeert au gouvernement des Etats-Unis une batterie complète d'artillerie au moment de la guerre d'Espagne. l prit part à la guerre de Cuba, se trouva au siège de Santiago-de-Cuba et fut délégué par le major général Shaffter pour communiquer au ministère de la guerre les termes officiels de la capitulation de cette place.
Le colonel Astor avait épousé, en 1891, miss William Willing, dont il divorça en 1910. Il se remaria l'an dernier avec une jeune fille de vingt ans, à laquelle il reconnut 50 millions de dot. Ce mariage d'un quinquagénaire avec une jeune fille de vingt ans fit beaucoup de bruit dans la société américaine, et l'on se rappelle qu'une campagne fut menée pour empêcher la bénédiction religieuse qu'un clergyman donna pourtant, moyennant 5,000 francs "pour ses pauvres".
Le colonel Astor quitta immédiatement l'Amérique avec sa jeune épousée, et il revenait, comme nous l'avons dit, de son voyage de noces en Egypte et dans le Levant.
Quelques notabilités américaines avaient été indiquées comme ayant pris place à bord du Titanic, notamment M. Bacon, ambassadeur des Etats-Unis à Paris, et M. Alfred Vanderbilt. On apprend que M. Bacon a changé d'avis au dernier mennent et qu'il s'embarquera sur la France, qui doit quitter le Havre le 20 avril.
Quant à. M. Alfred Vanderbilt, il a télégraphié à sa mère qu'il était sain et sauf en Angleterre.

Le capitaine du « Titanic »

Le capitaine Smith, qui commandait le Titanic, et qui serait mort, resté le dernier à son bord, sans doute avec tous ses officiers, commandait l'Olympic lorsque ce paquebot entra en collision, au mois de septembre dernier, avec le croiseur Hawke, dans les eaux de l'île de Wight. ll était âgé de soixante ans et il y avait trente-huit ans qu'il était au service de la White Star Line.
Né dans le Staffordshire, le capitaine Smith avait fait l'apprentissage de son périlleux métier de marin dans la maison d'armement Gibson et Cie, de Liverpool.
Depuis 1887, il était au service de la White Star Line, qui lui avait successivement confié le commandement de ses plus belles unités, le Republic, le Britannia, le Majestic, qu'il commanda pendant neuf ans, le Baltic, l'Adriatic.
Sa grande expérience des choses de la navigation l'avait fait d'ailleurs nommer membre du Conseil de la marine marchande.

Les dernières recherches

Dans la nuit, notre correspondant de New-York nous télégraphie :

New-York, 16 avril.

« Malgré les instructions données par la Compagnie Leyland, par télégraphie sans fil, au capitaine du Californian de rester sur les lieux du désastre et de donner toute l'assistance possible jusqu'à ce qu'on vienne le relever où jusqu'à ce que le charbon lui manque, tout espoir a été abandonné de retrouver d'autres passagers vivants ou marins du Titanic que ceux que transporte le Carpathia.
« Cet après-midi, tous les vapeurs qui croisaient dans le voisinage du lieu de la catastrophe ont repris leur route. Et on télégraphie d'Halifax, que le Parisian n'a aperçu ni radeau, ni cadavre au milieu des épaves qui flottaient sur une vaste étendue. D'après un radiogramme de ce steamer, il faisait un froid très vif et, même si des personnes s'étaient réfugiées sur des épaves, elles seraient mortes de froid avant qu'on ait pu les secourir.
« Le Parisian est attendu incessamment à Halifax.
« Quant au Carpathia, d'après les dépêches de son capitaine, il s'avance lentement avec les survivants à travers une mer semée d'icebergs et de glaces flottantes de trente kilomètres d'étendue. Il arrivera à New-York jeudi, dans l'après-midi. Les autorités douanières ont ordonné de déroger au règlement pour le débarquement; »
Enfin le vaisseau porteur de câbles Minia annonce à Halifax, par un radiotélégramme recueilli à Sable-Island cet après-midi, qu'il a aperçu une grande masse d'épaves, mais aucune chaloupe ni radeau du Titanic. »
Ainsi disparaît le dernier espoir que l'on conservait d'apprendre que le Minia, ancré en vue de Cape-Race au moment où le Titanic envoya son premier S.O.S., aurait pu recueillir là quelques-uns des naufragés ».

L'impression à Londres

(DE NOTRE CORRESPONDANT /PARTICULIER)

Londres, 16. avril.

L'épouvantable Catastrophe du Titanic cause, à Londres, une profonde consternation. Les nouvelles étaient si rassurantes hier soir, que les dépêches publiées ce matin par les journaux ont produit comme un coup de foudre. Il n'est presque personne dans la société anglaise qui n'ait eu, soit un parent, soit un ami â bord du Titanic.
Ce désastre, qui dépasse tout ce que l'on peut imaginer, va certainetnent porter un nouveau coup à la « season » de Londres, déjà si compromise par la grève des mineurs. La haute finance américaine est dans le deuil, et bon nombre de salons londoniens resteront fermés cet été.
Depuis ce matin, de bonne heure, les bureaux de la White Star, dans Cockspur street, ont été assiégés par une foule d'amis et de parents affolés venus en hâte aux nouvelles. La plupart des grandes maisons d'armements et de transports maritimes, qui sont dans Cockspur et dans Pall Mall, ont mis leurs drapeaux en berne.
C'est la ville de Southampton qui est, au fond, la plus éprouvée par la catastrophe. Presque tous les membres de l'équipage, environ neuf cents hommes, habitent dans ce port, et il y aura peu de familles, aussi bien dans les classes de la bourgeoisie que dans le peuple, qui n'auront pas à pleurer la mort d'un parent ou d'un ami.
M. Asquith, parlant cet après-Midi à la Chambre des communes, a exprimé, au nom du Parlement, sa grande admiration pour la façon dont tout s'était passé à bord du Titanic suivant les plus hautes traditions de la marine anglaise. Et il a ajouté quelques paroles émues, disant la sympathie profonde du Parlement et de la nation pour les victimes de la catastrophe.
Les témoignages de sympathie arrivent du monde entier.
Le roi Georges, la reine Marie, la reine Alexandra, l'empereur d'Allemagne, le prince Henri de Prusse ont envoyé des messages de condoléances.
Quoique l'on dise que les seuls survivants du désastre sont à bord du Carpathia, on s'efforce d'espérer qu'il y en a d'autres à bord de quelques autres bateaux. Les circonstances exactes de la catastrophe sont encore inconnues.— J. COUDURIER.

Les condoléances du Reichstag

Berlin, 16 avril.

A la séance du Reichstag, le président M. Kaempf a exprimé en quelques paroles chaleureuses l'émotion qu'a causée en Allemagne la nouvelle du naufrage du Titanic, qui atteint surtout le peuple anglais.
Les paroles du président ont été écoutées debout par les membres du Reichstag.

Une alerte à bord du « Niagara »

Une catastrophe pareille a failli se produire à bord d'un paquebot français.
On télégraphie, en effet, de New-York:
« Le transatlantique français Niagara est arrivé.
« Il rapporte que, dans la nuit de mercredi, presque à l'endroit où le Titanic a coulé, le Niagara est venu donner dans un banc de glace. Le choc fut si violent, qu'aussitôt le commandant fit envoyer, par les ondes hertziennes, le message de détresse S. O. S.
« Le brouillard, à ce moment était intense. Le transatlantique marchait à une vitesse réduite, il frôlait depuis quelque temps de petits glaçons lorsque se produisit le choc très violent, qui projeta sur le parquet les passagers attablés pour dîner, et les commis du bord, pèle-mêle, au milieu des verres et des assiettes.
« Les passagers, en proie à une vive alarme, se précipitèrent en masse sur le pont.
« Le commandant passa rapidement une inspection du navire, puis il envoya, par télégraphie sans fil, un nouveau radiogramme disant qu'il pouvait continuer à marcher sur New-York par ses propres moyens. »

Mesures de précaution

Les Sociétés de navigation du Nord de l'Atlantique ont décidé, en raison de la débâcle qui, cette année, a une force et une précocité tout à fait inaccoutumées, de choisir dès maintenant pour le voyage dans l'Amérique du Nord, la route plus méridionale suivie pendant la saison d'été.

Les icebergs

Sir Ernest Shackleton, le célèbre navigateur anglais, interrogé par le Daily Mail, a donné ces détails sur les icebergs et leurs dangers : Les icebergs sont formés par des masses de glace qui proviennent de glaciers terrestres et s'en détachent au point où ils débouchent à la mer, lorsqu'au printemps se produit une rupture du front de ces glaciers. La zone dangereuse est constituée non seulement par les icebergs, mais aussi par les bancs de glace qui descendent vers le sud, jusqu'au moment où ils fondent au contact du gulf stream.
» Quant à la manière de prévenir le choc des icebergs, elle consiste à prendre la température de l'eau de mer, chaque demi-heure. Il est à remarquer également qu'en général, lorsqu'un navire s'approche d'une de ces masses de glace, il vogue dans une sorte de brouillard spécial, provenant de la différence entre les températures respectives de l'eau et de l'atmosphère. Si l'iceberg se trouve dans le vent en même temps que le navire, ce dernier a une sensation d'air froid très perceptible ; dans le cas contraire, il est fort difficile de dire si le bâtiment est à proximité du dangereux obstacle où s'il en est éloigné.
» La perte d'un grand nombre de navires, dont on n'a jamais entendu parler et dont la disparition est antérieure à l'emploi de la télégraphie sans fil, doit être attribuée a des icebergs.
» Cette année a été tout à fait anormale en ce qui concerne la descente de la glace vers le sud, et, par le brouillard, même si l'on prend la précaution de relever la température de l'eau toutes les demi-heures, l'iceberg peut se présenter soudainement à travers la route suivie par les navires.
» Le plus dangereux, ce n'est pas le grand iceberg qui dresse sa masse énorme au-dessus des flots, mais l'iceberg qui se trouve à peu près submergé. C'est ce qui se produit lorsque l'une de ces montagnes flottantes se trouve dans un courant d'une température de quelques degrés au-dessus de zéro. Et lorsqu'il s'agit d'un navire allant à une grande vitesse, le choc avec ces énormes blocs submergés est aussi formidable que s'il s'agissait d'un récif.
» La plupart du temps, les icebergs provenant des régions arctiques ont à peine un septième de leur épaisseur au-dessus de la surface de l'eau. »

Les catastrophes maritimes

Le naufrage du Titanic est bien la plus meurtrière des catastrophes maritimes. Voici, en effet, la liste des grands naufrages qui se sont produits depuis 1895 :

1895 Elbe, paquebot allemand, 401 victimes.
1896 Saller, steamer allemand, 280.
1896 Drummond-Castle, vapeur anglais, 250.
1898 La-Bourgogne, paquebot français, 500.
1903 Le-Liban, paquebot français, 117.
1904 Gironde et Ange-Shiaffino, paquebots français, 106.
1905 Hilda, paquebot anglais, 128.
19J6 Sirio, paquebot espagnol, 200.
1907 Poitou, paquebot français, 58.
1908 Larache, steamer espagnol, 85.
1909 La-Seyne, paquebot français, 101.
1909 Deux vapeurs japonais, 700.
1910 Général-Chanzy, paquebot français, 156.
1910 Lima, paquebot anglais, 130.

Parmi ces catastrophes, deux d'entre elles ont laissé un souvenir poignant : celle de la Bourgogne et celle du Général-Chanzy.
La Bourgogne fut heurtée, le 4 juillet 1898, à cinq henres du matin, par un grand voilier en fer, le Cromartyshire, qui n'avait pas aperçu le paquebot, par suite d'un brouillard épais, et enfonça , son bout-dehors de foc à tribord dans son flanc, y laissant une blessure géante. Quelques embarcations furent mises à la mer ; elles furent prises d'assaut ; on s'y égorgea même pour s'y assurer une place.
Il y eut des scènes horribles. La lutte du navire contre les flots qui l'envahissaient dura quarante minutes. Il n'y eut que 267 survivants, dont une seule femme. Quant aux officier, ils avaient fait leur devoir et étaient morts à leur poste.
Le naufrage du Général-Chanzy est plus récent. Surpris par une tempête dans la nuit du 9 au 10 février 1910, il fut chassé par les vagues contre une pointe rocheuse de l'île Minorque, des Baléares. Il s'y brisa et disparut dans les flots: Un seul homme parvint à se sauver, sur les 85 passagers et les 69 hommes d'équipage.

_______

DERNIÈRE HEURE

En dernière heure, un grand nombre de télégrammes assez confus et contradictoires nous parviennent encore. Voici les plus intéressants d'entre eux :

Washington, 16 avril.

M. Taft envoie le croiseur-aviso rapide Salen, pour se porter immédiatement à la rencontre du Carpathia.
Le Salen est muni d'une très puissante installation de télégraphie sans fil, ayant un rayon de un millier de milles.
Il a l'ordre de télégraphier à M. Taft la liste complète des survivants.

Francfort-sur-le-Mein, 16 avril.

Une dépêche d'Anvers dit qu'une forte partie des quantités de diamants qui se trouvaient à bord du Titanic appartenait à des négociants d'Anvers. Les marchandises avaient été assurées par le Lloyd de Londres.
Plusieurs marchands de diamants d'Anvers se trouvaient comme passagers sur le Titanic. On est encore sans nouvelles d'eux.
Une dépêche de Leipzig dit qu'il devait se trouver sur le Titanic pour 3 millions de marks de fourrures, provenant de grandes ventes aux enchères opérées à Londres.

Le Havre, 16 avril.

On vient d'apprendre que M. Omont, courtier en cotons de notre ville, est parti mercredi en automobile pour se rendre à Cherbourg.
Dans ce port, il a pris un ticket de première classe pour son passage à bord du Titanic, à destination de New-York.
On craint que M. Omont ne soit parmi les victimes, car son frére, docteur en médecine au Havre, n'a reçu aucune nouvelle de lui.



Visualisation/Téléchargement/Impression de l'intégralité du journal en .pdf : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k289555z.image
Issu du site de la Bibliothèque Nationale de France.